4. Le Petit Poisson Rouge et le hold-up

Le Petit Poisson Rouge rentra de l’école accompagné de ses meilleurs amis, la Petite Poissonne Blanche et le Petit Poisson Bleu. « Papa veut me montrer quelque chose aujourd’hui. », raconta-t-il, « Je ne sais pas encore quoi. »

« Si c’est excitant, ça doit être quelque chose qui a à voir avec le nageoire-ball. », réfléchit le Petit Poisson Bleu. « Peut-être il t’emmènera voir le match entre l’Olympique Marin et l’équipe des thons blancs, le Poisson St. Germon. »

« Tu dis n’importe quoi ! », remarqua la Petite Poissonne Blanche. « Tu sais bien que les Poisson Rouge ne sont supporters ni de l’un, ni de l’autre. Ça doit être autre chose. » Les Petits Poissons continuèrent à délibérer sur la question, mais ne trouvèrent pas de réponse satisfaisante et se retrouvèrent bientôt devant leurs cavernes. « Raconte-nous ce que c‘était. », demanda le Petit Poisson Bleu, et ils rentrèrent dans leurs cavernes familiales.

Papa Poisson Rouge était déjà là à l’attendre. « J’ai préparé quelques algues, et après avoir mangé nous pouvons sortir. », dit-il.

« Des algues, des algues ! », pavoisa le Petit Poisson Rouge et mangea ses algues rapidement et avec appétit. Rassasié, il demanda : « Où allons-nous, Papa ? »

« Comme tu le sais, fiston, ta maman et moi, nous avons fait des économies depuis des années. Nous avons économisé un grand sac plein de cauris, de coquillages, de pierres colorées et d’autres objets de valeur, et jusqu’à présent, nous l’avons caché ici dans notre caverne. Or, il y a une nouvelle institution dans le Beau Brisant Bigarré, une organisation récemment crée par un groupe de sardines. Cela s’appelle une banque, et la nôtre est donc une succursale de la Banque de Sardines. »

« Et que fait donc une telle banque ? », demanda le Petit Poisson Rouge.

« Quand on a des objets comme les nôtres, on peut ou bien les garder chez-soi, ou bien les confier à la banque qui promet de les faire travailler. Ce qu’ils entendent par là, c’est que les sardines prennent ton argent, et sans que tu dois faire quoi que ce soit, te versent une certaine part de ce que tu leur as donné chaque année, sans que ton trésor ait diminué. Ils appellent cela des intérêts. »

« Mais ça me parait impossible, Papa. D’où tirent-ils ces intérêts ? »

« Voilà l’astuce ! », répondit Papa Poisson Rouge. « Il y a toujours quelqu’un qui a besoin d’objets comme les nôtres pour acheter quelque chose, et qui peut-être à un moment donné ne dispose pas de moyens suffisants. Les sardines leur prêtent, mais pour cela les emprunteurs doivent donner à la banque quelques objets en plus, des intérêts également, mais inversement. Ceux-ci sont alors partagés entre les déposants comme nous et les sardines. »

« Ah oui, je me rappelle, quand M. Espadon a acheté sa nouvelle poissonneuse-batteuse pour récolter des algues sur ses champs, il a aussi dû emprunter des cauris. Et maintenant nous allons donc ensemble à cette banque ? »

« Exact. », répliqua Papa Poisson Rouge. « Ça va être intéressant pour nous deux, et cela me paraît être une bonne institution. Ma seule crainte c’est que du fait que la banque conserve un grand trésor, cela pourrait attirer des voleurs. »

« Mais Papa ! », commenta le Petit Poisson Rouge, « Des voleurs, chez nous, il n’y en a pas ! Tu es le gendarme, tu es bien placé pour le savoir. »

« Il est vrai, » répondit Papa Poisson Rouge, « que dans notre récif il n’a y pas de malfaiteurs. Le Requin Tigre moleste surtout les harengs passant en grands bancs au sud et ne nous a pas inquiété depuis des années, et que même son idiot de sbire, le Thon, ne s’est pas approché plus près que jusqu’aux champs d’algues. Mais : on ne sait jamais. Mieux veut être sur nos gardes ! »

Papa Poisson Rouge prit le sac qu’il voulait déposer à la banque, et avec son fils nagea lentement en direction de la banque. Le Petit Poisson Bleu et la Petite Poissonne Blanche, qui les avaient vus partir, demandèrent s’ils pouvaient joindre les Poisson Rouge, et bien entendu firent invités de venir avec eux. Le Petit Poisson Rouge expliqua à ses amis ce que son père lui avait raconté au sujet de la Banque de Sardines, et les deux amis en étaient bien émerveillés.

« Il faut que nous fassions ça aussi ! », dirent-ils, et : « Ton père est sûr qu’il y a danger ? »

« Pas sûr, non. », dit le Petit Poisson Rouge, pensif, « Il veut tout juste être préparé, dans le cas où. Je crois que c’est aussi une des raisons pourquoi il veut aller à la banque : il veut déjà examiner les lieux. »

Arrivés à la banque, ils virent deux poissons-scie devant l’entrée. Ceux-ci avaient l’air féroce et regardèrent nos amis avec des yeux perçants. Lorsqu’ils reconnurent en lui le gendarme du récif, leur expression devint plus aimable, mais il était apparent qu’ils restaient vigilants.

Néanmoins, ils permirent l’accès à Papa Poisson Rouge et à son entourage de Petits Poissons, et tous se présentèrent au seul guichet qui était déjà installé et derrière lequel une sardine attendait ses clients. « Que puis-je faire pour vous, monsieur ? », demanda-t-elle à Papa Poisson Rouge, et celui-ci le lui expliqua.

« Nous sommes honorés de pouvoir compter parmi nos clients un haut fonctionnaire comme vous, un pilier de la communauté du Beau Brisant Bigarré ! », dit la sardine. « Nous vous proposons comme intérêt annuel un objet de valeur comparable sur les vingt que vous déposez chez nous. Croyez-moi, vous ne trouverez pas mieux dans toute la Méditerranée ! »

« J’en suis persuadé. », répondit Papa Poisson Rouge. « On m’a déjà assuré que votre maison avait une réputation excellente ! » Et il donna son sac à la sardine, qui lui remit un reçu. En même temps, la porte s’ouvrit et le maire, le Poisson Lune, entra et, après avoir regardé tous les poissons présents dans les yeux, dit d’une voix sonore :

« Loyaux sujets, eh, je veux dire, très chers concitoyens. Réjouissez-vous de l’ouverture de cet établissement moderne et utile qui, grâce

à moi et à ma lutte infatigable pour le bien de notre récif, fut récemment, eh, chose, c’est là maintenant, c’est ce que je veux dire. Sardines, oyez l’expression de mes sentiments de bienvenue ! »

« Eh bien, oui, merci. », répondit la sardine de derrière le guichet, et, en se tournant vers Papa Poisson Rouge, lui chuchota à l’oreille: « Qui est ce type un peu bizarre ? »

« C’est notre maire. », répondit Papa Poisson Rouge, sur quoi la sardine, en s’adressant au Poisson Lune, dit : « C’est un honneur, M. le Maire. Que puis-je faire pour vous ? »

Brusquement, la porte de la banque fut enfoncée brutalement, et la face hideuse du Requin Tigre apparut. « Ha ! », cria-t-il, « Je vous ai ! Nageoires en l’air et remettez-moi immédiatement tout votre trésor.

Avec tous ces objets précieux de la Banque de Sardines je vais pouvoir m’acheter tout un banc de harengs à moi tout seul. Héhéhé ! »

« Le hold-up de banques est contraire aux règlements », objecta la sardine, et Papa Poisson Rouge ajouta : « L’achat ou la vente de poissons est défendu par la loi de toutes les mers, et je vous arrête pour braquage de banque ! »

« Qu’est-ce que vous voulez me faire, petit poisson gendarme ? », demanda le Requin Tigre, en émettant encore son rire écoeurant. « Le Thon tient vos gardiens, nous avons lié leurs scies avec des cordes d’algues par derrière et ainsi nous les avons rendus inoffensifs ! »

En même temps, à l’entrée de la banque, les poissons-scie gardés par le Thon, tinrent l’entretien suivant :
« Ce que vous êtes rusé et habile, M. Thon, de nous avoir captivé ainsi. », dit le premier gardien, et l’autre ajouta : « Surtout que, en utilisant ces cordes d’algues, vous avez en outre su utiliser un moyen qui permet en même temps de nous lier et de nous nourrir. Quel parfum, et quel goût excellent! Reniflez-donc vous-même ! »
« Ça sent bon, en effet. », dit le Thon. « Et je suis rusé, comme vous le dites. Est-ce vrai que ces algues sont aussi excellentes à manger ? » Là-dessus, il mordit dans un grand morceau de la corde qui attachait les scies des deux gardiens. Ainsi libérés, ça ne dura que quelques instants jusqu’à ce que le Thon fût ligoté à son tour. Après avoir fait cela, les poissons-scie entraient, tout en douceur, dans la banque, où le Requin Tigre était en train d’expliquer à Papa Poisson Rouge : « Moi et le Thon, nous serons les poissons les plus riches et les plus puissants de toute la Méditerranée. Vous allez voir : ce hold-up n’est qu’un début. »

Pendant ce discours, le Petit Poisson Rouge tira Papa Poisson Rouge par la nageoire et lui indiqua les deux gardiens qui, entre temps, s’étaient approchés du requin. Papa Poisson Rouge dit donc au requin : « Un début, peut-être, mais décidemment aussi une fin. Je vous le répète : vous êtes arrêté ! »

« Héhé... », put encore faire le requin, avant que les gardiens ne le ficelèrent. « Ouéhébéhé, ça alors ! » était tout ce qu’il put encore émettre avant que les poissons-scie ne le bâillonnèrent.

« Nous n’avons pas de prison, ce n’était jamais nécessaire jusqu’à présent. », dit Papa Poisson Rouge. « Emmenons-le à la caverne du Poulpe, c’est la seule qui soit assez grande. »

Aussitôt dit, aussitôt fait ; le Requin Tigre et son sbire furent emmenés chez le Poulpe, qui, bien que remarquant d’un ton agacé : «On ne peut pas ne rien faire en paix, ici, dans ce lamentable récif ! » accepta l’inévitable.

Pendant que le maire informait tous ceux qui l’écoutaient que, grâce à lui, la situation était sous contrôle, de solides barreaux en corail furent installés et deux dauphins s’annoncèrent volontaires pour garder les scélérats.

Le Thon, faute d’avoir mieux à faire, se résigna vite à son sort et vit même un avantage dans le fait d’être nourri aux frais de la communauté, et ceci avec les algues excellentes de chez M. l’Espadon. Le Requin, en revanche, était furieux : rien que des algues, et cela devait arriver à lui, le féroce chasseur d’harengs !

Entre temps, la sardine avait averti la sardine-directeur de la banque, et celle-ci félicita et remercia cordialement Papa Poisson Rouge et les poissons-scie, et se tourna ensuite vers le Petit Poisson Rouge, la Petite Poissonne Blanche et le Petit Poisson Bleu : « Vous aussi, » dit-elle, « avez été bien braves ! Dans ma banque vous trouverez toujours pour vous une sucette à l’algue, et pour vous et vos parents, nous allons vous offrir des taux d’intérêt spécialement favorables ! »

« Des algues ! Des sucettes à l’algue ! » jubila le Petit Poisson Rouge heureux comme un roi et son bonheur à son comble quand Maman Poisson Rouge servit un bon dîner d’algues. Et le soir, après que Papa Poisson Rouge lui avait raconté une histoire pour s’endormir, une histoire du Petit Humain Rouge bien entendu, il s’endormit tout content, couché dans son anémone toute douce et la tête enfouie entre son coussin et son crabe en peluche.

© 2017 Olivier Fuchs – http://www.lepetitpoissonrouge.fr