2. Le Petit Poisson Rouge ne peut pas dormir

Ce fut une longue journée pour le Petit Poisson Rouge. Le matin, il était allé à l’école où il resta toute la matinée. Vers une heure, il rentra chez lui, affamé. « Bonjour, maman! », salua-t-il. Maman Poisson Rouge était écologiste et écrivait beaucoup, donc pouvait travailler beaucoup à la maison. Elle avait donc préparé un bon repas fortifiant d’algues, toutes fraîches, qu’elle avait acheté chez M. Espadon, le marchand d’algues.

« Des algues, des algues! », se réjouit le Petit Poisson Rouge. « Génial! » Il faut savoir qu’il aimait beaucoup les algues.

Après le repas et les devoirs pour l’école, le Petit Poisson Rouge prit son sac à dos qu’il utilisait pour le sport et se rendit chez les voisins, la famille Poisson Bleu, pour y passer prendre son meilleur ami, le Petit Poisson Bleu, et aller au nageoire-ball avec lui. Le Petit Poisson Bleu était grand amateur du nageoire-ball et partisan inconditionnel de l’OM, l’Olympique Marin. Le Petit Poisson Rouge supportait plutôt le Limande Olympique Sporting Club, mais à la

différence du Petit Poisson Bleu il s’intéressait aussi beaucoup à d’autres sports.

Cependant, ce jour était placé sous le signe du nageoire-ball. L’école avait organisé un tournoi auquel toutes les équipes des enfants du Beau Brisant Bigarré participaient. Les petits balistes étaient favoris et avaient déjà battu les oursins, adversaires redoutables à cause de leurs épines qui malheureusement abîmaient aussi souvent les ballons.

Le Petit Poisson Bleu avait organisé une équipe comprenant, à côté du Petit Poisson Rouge et de la Petite Poissonne Blanche, aussi le Petit Poisson Jaune, le Petit Poisson Vert, la Petite Poissonne Rosâtre et le Petit Poisson Multicolore en tant que gardien de but. Ce dernier avait les nageoires plus longues que tous les autres poissons et se prêtait donc à ce rôle de façon idéale.

Le premier match était contre une équipe mixte de poissons-clown agiles et de poissons hérisson dans la défense. Tous les parents étaient supporters et vivaient une rencontre intense et captivante, puisque l’équipe des Petits Poissons, bien que surclassant l’adversaire ne trouvait pas le moyen de surmonter la défense piquante et de marquer. Ce n’était qu’au dernier moment que le Petit Poisson Bleu tenta un tir à distance qui fut dévié par la nageoire caudale d’un des défenseurs et ainsi rendu intenable mena au résultat final de un à zéro!

Après ce bon départ, les Petits Poissons étaient au comble du bonheur mais se mirent directement à se préparer pour le prochain match sous la direction du Petit Poisson Bleu. Ils jouèrent 34 à zéro contre le club des limaces de mer, bien jolies avec toutes leurs couleurs, mais lentes, et il ne fallut plus qu’une victoire contre les poissons chirurgiens pour que leur équipe soit en tête du classement de leur groupe, et donc en finale.

Encore, quel match! Bien préparés par le Petit Poisson Bleu qui doublait d’entraineur pour son équipe, les Petits Poissons surent appliquer une forte pression sur l’adversaire. Dès le début, ils tirèrent de toute position, le tir le plus spectaculaire ayant été un coup ciseaux de la part de la Petite Poissonne Blanche grâce auquel son équipe prit l’avantage. Mais le gardien des autres jouait bien fort: avec précision chirurgienne il sauva tous les autres tirs, même les mieux visés qui envoyèrent le ballon dans la lucarne.

Pire, un lob des poissons chirurgiens passa au-dessus du Petit Poisson Multicolore pour ainsi égaliser. Parents et Petits Poisson devinrent un peu nerveux, et le jeu bascula. Soudainement, les tirs tombèrent sur le but de nos amis, et seul un changement rapide de tactique ordonné par le Petit Poisson Bleu évita qu’ils se fassent distancer. « Catenaccio! », cria-t-il, et tous se mirent à défendre.

Mais il fallait gagner: un match nul aurait vu les poissons chirurgiens à la tête du classement, leur différence de buts était supérieure de un! Il ne resta que quelques instants à jouer, et le Petit Poisson Rouge en tant qu’attaquant central dût prendre son courage à deux mains. Lorsqu’il reçut le ballon après un coup d’envoi du but, il prit un adversaire en défaut et fit signe au Petit Poisson Bleu d’attaquer avec lui. Il dribbla un défenseur et passa le ballon au Petit Poisson Bleu qui s’était posté près du poteau du but. Le Petit Poisson Bleu stoppa le ballon de sa nageoire dorsale, et d’un coup de nageoire pectorale l’envoya pour marquer.

Les Petits Poissons avaient de nouveau l’avantage, et peu après l’arbitre termina la rencontre. Faute de sifflet qui n’aurait pas fonctionné sous l’eau, les arbitres poissons prenaient recours à une sirène, et celle-ci cria à tue-tête: « Fini le match! »

Quel bonheur! Joueurs et Parents se tombèrent dans les nageoires: les Petits Poissons étaient en finale!

Quel serait leur prochain adversaire dépendait de l’issue du jeu entre les balistes et une équipe de poissons ange et de petits mérous. Pendant ce temps les Petits Poissons allèrent visiter la petite kermesse qui elle aussi avait été organisée par l’école. Un corail cerveau avait été aménagé comme carrousel, on pouvait monter à hippocampe, chaque Petit Poisson reçut un barbillon à papa et un jus d’algues en récompense, et après l’avoir mangé, ils s’en donnaient à coeur joie au saut sur éponge.

En milieu d’après-midi, la grande finale commença: « Commencez! », cria la sirène, et un baliste donna le coup d’envoi. Les Petits Poissons résistaient vaillamment aux attaques des balistes, mais ces derniers s’avérèrent bien supérieurs en termes de technique et autant de tactique, ayant joué ensemble depuis des années. Bientôt les balistes menèrent de 2 à zéro. Papa et Maman Poisson Rouge étaient placés le long de la ligne de touche avec les parents des autres Petits Poissons, et s’extasiaient pour l’équipe de leurs enfants, mais la situation devenait de plus en plus désespérée.

Les balistes le sentaient aussi, et lentement devenaient arrogants: la victoire, pensaient-ils, ne pourrait plus leur échapper. Ceci avait bien sûr pour conséquence que leur concentration déclina rapidement, et un coup inattendu de la part de Petite Poissonne Blanche permit à son équipe de revenir à 2 à 1!

Les Petits Poissons revirent alors une lueur d’espoir. De manière concentrée et disciplinée, ils se libérèrent de la pression de l’adversaire, et ne se laissaient même pas distraire par le 3 à 1 que marquèrent les balistes. Une passe géniale du Petit Poisson Bleu entre deux défenseurs atteignit le Petit Poisson Rouge, qui marqua. Plus que 3 à 2!

Les balistes, habitués à vaincre sans grande résistance, se montrèrent irrités, d’autant plus que le Petit Poisson Multicolore sauva deux tirs et immédiatement après le Petit Poisson Bleu égalisa d’un coup de tête. Imaginez l’excitation: Papa Poisson Rouge tint fermement la nageoire de Maman Poisson Rouge, Papa Poisson Bleu rongea le bout de la sienne et Papa Poisson Blanc se cacha derrière le dos de Papa Poisson Vert et murmura constamment : « Je ne peux plus regarder ça, je ne peux plus regarder ça ... »

Le match bascula, les Petits Poissons attaquant directement tout adversaire en possession de la balle et ayant repris leur courage, attaquèrent et tirèrent de toutes les positions possibles. Mais : Pas un seul autre but ne put être marqué. Leurs nerfs seraient-ils assez forts pour pouvoir surmonter les défis d’un tir aux pénaltys?

Plus que quelques instants à jouer, et la sirène s’apprêta déjà à terminer la rencontre, alors qu’une une-deux entre le Petit Poisson Jaune et la Petite Poissonne Rosâtre permit une passe juste devant les nageoires du Petit Poisson Rouge, qui envoya le ballon dans le but.

À peine put on entendre le « Fini le match ! » de la sirène dans le vacarme qui s’ensuivit! C’était la fête pour les Petits Poissons et leurs parents. Tous jubilèrent et s’ennageoirèrent, exaltés.

Le Poisson Lune en tant que maire du Beau Brisant Bigarré remit le prix, und coupe faite d’un Bigorneau doré. Ce Bigorneau ne manqua pas de féliciter le Petit Poisson Bleu non plus, qui en tant que capitaine reçut la coupe le premier.

Le Poisson Lune avait préparé un long discours, et avait déjà commencé : « Loyaux sujets, eh, je veux dire, très chers concitoyens, nous vivons aujourd’hui un jour de gloire, organisé par moi, et qui... », mais sa voix se perdait dans les bruits autour de lui: Petits Poissons fêtant, les Balistes félicitant leur adversaire et célébrant leur seconde place, et les parents qui se racontaient encore une fois toutes les scènes de la finale.

Papa Poisson Rouge proposa de fêter l’occasion au Bulot Gaillard, où les patrons, le Boisson Rouche-Blanc-Rouche et le Boisson Rouche à Groix Blanche, poissons alpins qui avaient descendu Le Rhône pour s’installer au soleil méditerranéen, avaient préparé une collation d’algues et ouvert un grand nombre de bouteilles d’algo-cola.

« Des algues ! Des algues ! », jubila le Petit Poisson Rouge, et les Petits Poissons et leurs adversaires se mirent à en dévorer des tas avec grand enthousiasme. Mais le moment de rentrer approcha, et après avoir dit au revoir aux autres, la famille Poisson Rouge se dirigea vers leur caverne.

«Il est temps d’aller au lit ! », annonça Maman Poisson Rouge, et le Petit Poisson Rouge, mort de fatigue, se coucha dans son anémone avec son crabe en peluche pour dormir. Mais la journée l’avait trop excité. Il se tourna à droite et à gauche, mais il ne réussit pas à s’endormir. Il pensa aux matchs, à la foire, à la fête, et au bout d’un moment appela Papa Poisson Rouge. « Je ne peux pas dormir, papa. », gémit-il. « J’essaye, mais je ne peux pas. »

« As-tu déjà essayé de compter des rondeaux moutons? », demanda Papa Poisson Rouge. De compter ces poissons dans sa tête était un de ses trucs préférés pour trouver rapidement son sommeil, mais le Petit Poisson Rouge répondit: « Oui, papa, mais ça ne fonctionne pas. Je ne sais pas quoi faire. »

« Peut-être une histoire pour dormir aidera-t-elle. », déclara Papa Poisson Rouge. « Je vais te raconter une histoire du Petit Humain Rouge. » Ce qu’il fit, mais le Petit Poisson Rouge ne pouvait toujours pas s’endormir.

« Eh bien, j’ai encore une idée. », dit Papa. « Je fais cela de temps en temps moi-même. Essaye d’imaginer un récif idéal, en décidant où tu voudrais mettre les cavernes, les magasins, la mairie, le bar-algues, ... »

« Ca ne fonctionnera pas, Papa. », remarqua le Petit Poisson Rouge. « Regarde : je te montre. Alors, le récif sera un peu comme le nôtre, avec une rangée de cavernes au début. La mairie, il faudra la mettre de l’autre côté, pour qu’on ne voie pas trop souvent le Poisson Lune. Au centre, il y a la place principale (sur quoi il bâilla abondamment), avec le magasin d’algues. Oui, et, où en étais-je, ah oui (encore un bâillement), un bar-algues à côté, bien sûr, eh, le bar aura une terraaaaaaaache ... »

Sur ces mots, le Petit Poisson Rouge ferma ses yeux et se mit gentiment à ronfler. Papa Poisson Rouge souriait et donna un bisou à son fils endormi. Une belle journée s’était bien terminée, et Maman et lui allèrent également se coucher pour rêver tous contents de la première coupe gagnée par leur garçon.

© 2017 Olivier Fuchs – http://www.lepetitpoissonrouge.fr